L’histoire des écoles

Par Arlette Auduc, conservatrice en chef honoraire, correspondante pour le Patrimoine et l’Architecture au Comité d’histoire, membre du comité de pilotage du programme HEnsA20

Le projet HEnsA20 s’est donné, parmi ses priorités, l’objectif de travailler sur l’histoire, encore mal connue, des écoles d’architecture en province. Encourager la recherche sur ce sujet fut un des axes des séminaires locaux, parallèlement aux appels à contribution transversaux.

Au préalable, il fallait poser la question des archives de ces écoles. Faute d’archivistes, les sources les plus anciennes et même les plus récentes étaient entreposées dans de mauvaises conditions ou avaient parfois disparu. Les changements de locaux avaient occasionné beaucoup de pertes et les écoles n’avaient qu’une mémoire fragmentaire de leur passé.

La Mission des archives du ministère de la culture, partenaire du projet, a mené une action de sensibilisation à ces questions, en entamant une tournée dans les écoles pour rappeler les obligations légales, informer les documentalistes et les archives départementales de la nécessité de signer des conventions de dépôt pour assurer une bonne conservation des documents et leur mise à disposition des chercheurs. Les résultats de ce travail de fond a été positif : certaines écoles ont recruté des archivistes ; les recherches, sur place, se sont multipliées, notamment à l’occasion des séminaires dont une partie était consacrée à l’histoire des écoles; des campagnes d’archives orales ont été menées et certains établissements ont envisagé d’écrire leur histoire et de la publier.

Quel est le bilan à la fin du projet ?

L’idée d’une collection commune accueillant les publications de toutes les écoles a été très vite abandonnée par les initiateurs de la recherche au profit d’une large autonomie des établissements autour d’une trame commune.

Deux écoles avaient déjà publié leur histoire avant les débuts de la recherche[1] : Nantes et Strasbourg, cette dernière publication étant en quelque sorte à l’origine d’HEnsA20. Toulouse, puis Bordeaux ont suivi. L’ENSA de Paris-Belleville[2] a lancé son ouvrage lors du séminaire qui s’y est tenu en octobre 2021. D’autres sont en cours : Rennes, Grenoble, Marseille, qui ne tarderont pas à être publiées. D’autres encore, sous cette impulsion réfléchissent à leur ouvrage.

L’autonomie laissée à chaque établissement et l’extrême variété des situations concernant les sources expliquent la diversité des publications et de leur contenu et en fait la richesse.

Si les ouvrages de Strasbourg et de Nantes, précurseurs, suivent une trame historique classique tout en présentant des documents inédits, d’autres partis ont parfois été pris. Les ENSA héritières des anciennes écoles régionales créées à partir de 1903 et qui elles-mêmes étaient issues de la section architecture des écoles des Beaux-arts municipales insistent sur leur continuité historique alors que les descendantes des anciennes UP créées après mai 1968 donnent plus largement la parole aux témoins et ont privilégié la collecte des archives personnelles des enseignants et des étudiants de ces périodes proches.

L’ouvrage de l’ENSA de Toulouse sous la direction d’Enrico Chapel et Constance Ringon, « L’enseignement de l’architecture à Toulouse. Prémices d’une histoire[3] », insiste sur la continuité de cet enseignement depuis l’école des Beaux-arts au XVIII^e siècle jusqu’à aujourd’hui. Ouvrage de synthèse, il reprend les textes existants tout en les enrichissant de recherches propres menées à cette occasion. Il s’accompagne de témoignages et de deux cahiers graphiques.

L’originalité de tous ces travaux est là : à la fois synthèse des connaissances scientifiques existantes, outils de travail pour les chercheurs actuels, et pistes de nouvelles recherches à mener.

Ces principes se retrouvent dans l’ouvrage de Gautier Bolle et Laurence Chevallier sur l’ENSAP de Bordeaux, « L’école d’architecture de Bordeaux. Héritages et perspectives[4] ». Aux interventions historiques produites lors du séminaire d’HEnsA20 qui y sont reprises, s’ajoutent d’autres recherches sur le temps long, ainsi que des témoignages et des matériaux pour la recherche.

D’autres travaux sont en cours, à Marseille, portant sur la période allant de 1905 (date de création de l’École régionale) à 2015, à Grenoble où, sur un terrain de recherche vierge, les auteurs se sont livrés à un gros travail d’archives préalable (recherche, tri, conservation) et s’orientent vers une histoire linéaire de 1898 à 2005. Ici aussi, on retrouvera une partie historique présentée lors du séminaire, des articles commandés pour l’occasion à des enseignants et des étudiants dans une perspective de recherche scientifique et pédagogique. Une campagne d’entretiens est menée parallèlement.

Les recherches de l’école de Rennes n’en sont qu’à leur début. Les responsables s’orientent vers un ouvrage en deux parties : l’histoire de l’école avant 1968, depuis le XVIII^e s. (Daniel Le Couédic), son histoire récente (André Sauvage) qui portera davantage sur la question de la gouvernance de l’école après la rupture radicale de 1968, où tous les enseignants, sauf un, démissionnent et où arrivent de nombreux professeurs étrangers, notamment québécois, qui apportent une autre culture et d’autres méthodes, jusqu’au « clash » final en 1971. La publication de documents originaux inédits permettra de mieux comprendre une période troublée.

Au-delà des spécificités locales, des questions surgissent, communes à tous les établissements : la question des locaux est presque toujours abordée. Le déménagement des anciens locaux, patrimoniaux mais mal adaptés, la construction de nouvelles écoles, souvent confiée à des architectes contemporains de renom, donne lieu à des débats souvent agités, mais aussi à des travaux pluridisciplinaires dans les écoles où étudiants et enseignants expriment leurs besoins, mais aussi leur conception de l’architecture et déploient leur imaginaire dans des contributions fondatrices dans la mesure où elles réfléchissent aux liens entre enseignements (de l’architecture) et bâtiments (d’architectes). Ces débats sont particulièrement riches à Grenoble et se continueront après l’ouverture de la nouvelle école dont l’organisation spatiale permettra un renouvellement de la pédagogie et un rapprochement de l’enseignement et de la recherche. A Bordeaux au contraire, la nouvelle école reflète la volonté de mettre en avant une continuité pédagogique traditionnelle et de marquer un positionnement académique affirmé, au point que les nouvelles matières qui s’imposent après 1968 sont reléguées dans des extensions périphériques.

Cette question, qui pourrait être développée ailleurs, des tensions entre nouvelles perspectives et enseignement traditionnel s’accompagne d’une réflexion sur le rôle des enseignants étrangers dans le renouvellement des théories et des pratiques. Les québécois à Rennes, les brésiliens à Grenoble et, partout, l’arrivée d’enseignants et de praticiens chassés d’Amérique latine par les dictatures élargissent les perspectives. De fortes personnalités ont ainsi marqué plusieurs générations d’étudiants ce dont témoignent les entretiens avec les acteurs.

On voit ainsi que ce chantier n’est pas encore abouti même s’il est bien engagé, que les apports historiques et scientifiques nous réservent bien des surprises et qu’il sera à l’honneur d’HEnsA20 de l’avoir lancé.

[1] Dominique Amouroux coord., Le livre de l’école nationale supérieure d’architecture de Nantes, Gollion, InFolio éditions, 2009 ;
Anne-Marie Châtelet, Franck Storne dir., Des Beaux-Arts à l’Université. Enseigner l’architecture à Strasbourg, Paris/Strasbourg, coédition Recherches/École nationale supérieure d’architecture de Strasbourg, volume I, Histoire et mémoires / volume II, Dessins, 2013, 584 p.
[2] Marie-Jeanne Dumont, Antoine Perron, UP8. Pour une pédagogie de l’architecture, Paris, Zeug/Énsa-PB, 2020. 320 p.
[3] Enrico Chapel, Constance Rigon dir, L’enseignement de l’architecture à Toulouse. Prémices d’une histoire, Paris, Archibooks, 2019, 261 p.
[4] Gauthier Bolle, Laurence Chevallier dir, L’école d’architecture de Bordeaux. Héritages et perspectives, Presses universitaires de Bordeaux, 2021, 488 p. 

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