Entretien avec avec Jean-Pierre Criqui
Entretien avec Jean-Pierre Criqui*, conservateur au service des collections contemporaines du musée national d’Art moderne, réalisé le 29 avril 2024 par Brigitte Gilardet, historienne de l’art, chercheure associée au CHSP.
Pouvez -vous avec nous évoquer vos études, vos premiers emplois ?
Né en 1958, à Dijon, j’ai fait des études d’anglais et de philosophie, qui se sont transformées en études d’histoire de l’art quand je suis venu à Paris, à l’université Paris I, l’institut d’art de la rue Michelet. J’ai ensuite enseigné dans des écoles d’art — à Paris, à Annecy — autour de mes 25 ans. Puis j’ai eu quelques bourses, notamment à la Villa Arson à Nice, à la Villa Médicis grâce à Michel Laclotte qui avait été compréhensif à mon égard. J’ai été pensionnaire à la Villa en 1988/1989. Je suis un contemporanéiste, spécialiste de l’histoire de l’art contemporain européen et américain après la Seconde Guerre mondiale.
Je ne souhaitais pas devenir universitaire, j’ai rencontré assez tôt des personnes qui m’ont influencé et inspiré : Jean Clay qui est le créateur de la maison d’édition Macula. C’était une revue d’histoire de l’art née en 1997, qui a une durée de parution assez brève. Jean Clay travaillait avec Yve-Alain Bois, qui a été professeur à Johns Hopkins, à Harvard, puis à Princeton, j’ai aussi rencontré assez rôt Rosalind Krauss, ce qui a accentué mon tropisme américain, qui avait débuté lorsque j’étais adolescent et passionné par le Jazz, je jouais de la guitare, comme Hubert Damisch, que j’ai bien connu et qui avait joué du jazz, du saxophone, dans les années 1950.
J’ai assez vite travaillé pour Macula : j’ai traduit un livre de Rosalind Krauss, ensuite, Jean Clay m’a confié la création d’une collection. J’ai publié un livre assez mythique : Art et Culture d’un critique d’art américain, Clement Greenberg. Ensuite, j’ai eu une bourse d’un an, de la Fondation de France, pour réaliser un rapport sur l’état de l’édition dans le domaine de l’histoire de l’art en France. C’était François Hers qui s’en occupait à la Fondation. J’ai formulé quelques recommandations de bon sens : il fallait aider à la publication et à la traduction de quelques monuments de l’histoire de l’art. qui manquaient encore comme Aloïs Riegl, par exemple. Ensuite j’ai reçu un matin, avec grand plaisir un appel de François Barré, en 1992, que je ne connaissais pas personnellement. Il m’a nommé en 1993 inspecteur de la création artistique, aux côtés d’Anne Tronche, une personnalité remarquable, et d’Olivier Kaeppelin. Dans ses nouvelles fonctions, j’étais chargé de relations avec les artistes, les achats du fonds d’art contemporain ainsi que l’aide aux critiques d’art et à l’édition, ce qui faisait suite j’imagine à mon rapport. J’y suis resté jusqu’en 2008/2009, tout en exerçant une activité de critique d’art. J’ai aidé Jean Clay, j’ai publié quelques livres dans la collection que j’avais fondée et qui s’appelait, et s’appelle toujours, Vues. Mon expérience éditoriale avec Jean Clay a été très formatrice.
Quand êtes-vous entré en contact pour la première fois avec les équipes du Centre Pompidou ?
Je fais un petit saut en arrière : j’avais rencontré au milieu des années 1980, le philosophe Yves Michaud, qui avait été nommé par Dominique Bozo rédacteur en chef des Cahiers du MNAM, vers 1986, il avait succédé à Jean Clair qui avait été fondé les Cahiers en 1979. C’était ainsi une personnalité extérieure au Centre Pompidou et non plus un conservateur de musée qui dirigeait la revue. Yves Michaud avait restructuré le comité de rédaction et m’a demandé de faire partie de ce comité : mon nom apparaît pour la première fois dans le numéro 19/20 en 1987. Yves Michaud est parti au bout de quatre ans, remplacé par un autre philosophe, Daniel Soutif. Je suis resté au comité de rédaction. En 1994, Daniel Soutif a été nommé par Dominique Bozo directeur du Département du Développement Culturel (DDC), qui venait d’être créé au sein du Centre. Dominique Bozo et Daniel Soutif m’ont alors demandé de devenir rédacteur en chef des Cahiers, peu après en somme, avoir rejoint le ministère de la culture, à la Délégation aux arts plastiques. Je n’étais pas un employé du Centre, j’étais rémunéré ponctuellement pour mon travail de rédacteur en chef.
Quelles furent vos autres activités après votre prise de fonctions en qualité de rédacteur en chef des Cahiers du Mnam ?
En 2008, Marianne Alphant (philosophe, elle aussi) qui dirigeait les Revues parlées, a pris sa retraite. Elle avait succédé à Blaise Gautier, figure fondatrice cette activité au Centre Pompidou C’était un homme d’édition qui avait été directeur du Mercure de France. J’ai candidaté à ce poste. Cela faisait que j’étais à la Délégation aux arts plastiques et j’avais envie de changement. Le président Alain Seban, s’il avait apprécié le programme généraliste mis en place par Marianne Alphant, souhaitait davantage de synergie entre le programme du service de la Parole et les autres activités du Centre et que le programme du service soit davantage centré sur l’histoire de l’art. J’étais pour cela prédisposé. Nommé au Centre début 2009, je suis resté à ce poste jusqu’à l’automne 2015. Bernard Blistène a été nommé directeur du Département du Développement Culturel : j’avais avec lui une très bonne complicité. Nous avions une communauté de goûts et d’objectifs. Il a été ensuite nommé directeur du Mnam et m’a demandé si je voulais devenir conservateur au musée, ce que j’ai volontiers accepté. A l’automne 2015, j’ai été nommé conservateur.
Quel était votre statut ?
Je suis contractuel du Centre Pompidou à partir de 2009. J’étais également contractuel au ministère de la culture, je n’ai jamais été fonctionnaire.
Vous êtes demeuré rédacteur en chef des Cahiers du Mnam ?
Oui, Alain Seban m’a maintenu dans cette fonction et elle est « entrée » dans ma fiche de poste. Mes missions de conservation sont majoritaires dans mon emploi du temps : je suis au service des collections contemporaines, qui concerne les artistes nés entre 1920 et 1960. Je m’occupe d’acquisitions, d’accrochages de la collection, j’ai organisé une demi-douzaine d’expositions, au Centre Pompidou à Paris. Parmi celles-ci, Charles Ray, Tatiana Trouvé, Pierre Bismuth, Christian Marclay
Pouvez-vous évoquer votre activité de commissaire d’expositions ?
J’ai été auparavant commissaire freelance, et j’avais réalisé d’autres expositions, ainsi Douyble Mixte au Jeu de Paume en 1995, ou encore une rétrospective Robert Morris au Musée d’art contemporain de Prato en 2005.
Comment ont évolué les Cahiers du Mnam ? Il y a-t-il eu des numéros » hors-série » ?
En effet, Christian Derouet, par exemple, a contribué a divers numéros « hors-série », qui constituent de précieuses aux archives. La revue a aujourd’hui 45 ans, longévité assez remarquable. Nous sommes trimestriels. Le premier numéro intégrait une contribution de Meyer Schapiro, on y parlait aussi de Carl Einstein, et j’ai poursuivi dans cette direction, en tentant de la diversifier encore plus, notamment eu égard à l’art le plus contemporain. Ce n’est pas un bulletin de musée : le Centre Pompidou publie ainsi une revue généraliste reconnue, d’histoire de l’art des XXe et XXI e siècles. Nous nous appliquons également à faire de l’histoire de l’histoire de l’art. Cette optique-là est maintenue, Hubert Damisch a fait partie du comité de rédaction jusqu’à sa mort fin 2017. Je suis seulement le quatrième rédacteur en chef, depuis trente ans. La revue traite quoi qu’il en soit souvent de ce qui se passe au Centre et au Mnam : il serait de toute façon difficile de faire autrement, vu l’ampleur des collections et des activités de l’institution.
Quels sont vos rapports avec la direction des publications du Centre Pompidou ?
La direction des éditions, créée dans les années 1990, a vocation à suivre et produire tout ce qui est de l’ordre de l’édition : il y a eu aussi Traverses (deux moutures), les Cahiers du CCI, etc., des revues qui n’étaient pas nécessairement liées à l’activité du Centre. Cela s’est simplifié et réduit. Je travaille avec une chargée d’édition, Julie Cortella, qui dépend du Centre et qui est affectée à la direction des éditions.
Quel est le numéro dont vous êtes le plus fier ? le plus difficile à monter ?
J’ai fait un numéro double sur l‘histoire du catalogue au milieu des années 1990. Il a fait date et a été étudié il n’y a pas longtemps à l’INHA : c’était alors assez précurseur.
Jean Piel, directeur de la revue Critique, revue mensuelle créée par Georges Bataille dont il avait repris la direction à la suite de la mort de ce dernier en 1962. Il disait modestement : « dans une revue il faut un très bon article par numéro ». Je tente de répondre à cette exigence, avec l’espoir de publier plus d’un très bon article par numéro. Nous alternons par ailleurs entre numéros variés et numéros thématiques pour ces quatre parutions annuelles. Notre n° 166, par exemple, est un numéro thématique sur l‘art brut qui rend hommage à Bruno Decharme, grand collectionneur dans ce domaine qui vient de faire une donation importante au Mnam.
Y avait-il eu un numéro similaire en l’honneur de Daniel Cordier ?
Non, car il y a eu des ouvrages importants à propos de sa donation. Paul Destribats, autre collectionneur, a choisi la Bibliothèque Kandinsky du Centre Pompidou pour conserver son importante collection de revues par exemple et deux importants ouvrages ont été publiés.
Quelles différences entre la publication d’un catalogue et un numéro thématique des Cahiers du Mnam consacré à une exposition ?
La temporalité est différente. Une revue demande de la régularité et de la persistance. Les Cahiers du Mnam, c’est chaque trimestre environ 350 000 signes ou espaces, accompagné de 70/80 illustrations, ce qui constitue au fil des ans un volume pour le moins substantiel. Le catalogue est quant à lui un événement ponctuel, comme l’exposition, et dispose de plus de moyens que la revue. Mais un bon texte publié sur l’un ou l’autre support a la même importance.
Dans les deux cas, il faut être au rendez-vous et respecter le calendrier de la publication trimestrielle ou de l’ouverture de l’exposition. C’est un peu comme dans la Presse. Dans l’édition, il y a des ouvrages un peu mythiques qui ont mis longtemps à paraître, voire qui n’ont jamais vu le jour.
Les catalogues bénéficient souvent de mécénat ?
Oui, cela arrive. C’est aussi le cas des expositions et cela arrive aussi parfois pour les Cahiers du Mnam, de manière de façon évidemment plus modeste. Le numéro consacré à la donation Decharme, par exemple, a été soutenu de façon très appréciable par la Fondation Antoine de Galbert.
Y a-t-il une de vos expositions, en particulier, dont vous aimeriez parler ?
J’ai beaucoup aimé les faire toutes. La première, en 2019, était consacrée à l’artiste américain Ellsworth Kelly et à ses Fenêtres, réalisées en France en 1949 et 1950. Ces œuvres ont été réunies pour la première fois, avec un ensemble d’autres s’y rapportant, lors de cette exposition. Kelly avait fait don au Centre Pompidou avant sa mort en 2015 de l’une de ses fenêtres (Window, Museum of Modern Art, Paris, reprenant une fenêtre de l’actuel Palais de Tokyo), et Jack Shear, son mari, a laissé en dépôt au Mnam le tout dernier tableau de l’artiste, White Over Black III, à l’issue de l’exposition. Le tableau s’intitulait Window, Museum of Modern Art, Paris (une fenêtre de l’actuel Palais de Tokyo).
L’une des particularités du Centre Pompidou est qu’il a ses propres scénographes. À partir du plateau nu on décide à chaque fois avec l’architecte scénographe de ce que sera la physionomie de l’exposition. J’ai notamment bénéficié de l’expérience d’une architecte scénographe remarquable, Camille Excoffon, avec qui j’ai eu grand plaisir à travailler.
Est-ce que des chercheurs ont travaillé sur l’histoire des Cahiers du Mnam ?
Oui, une étudiante de l’École du Louvre leur a consacré un mémoire il y a déjà quelques années. J’ai témoigné de l’expérience de la revue récemment devant les équipes du laboratoire d’histoire permanente animé par Antoine de Baecque et je renouvellerai l’expérience avec plaisir avec le comité d’histoire du ministère de la culture.
Je vous remercie.
*Éléments biographiques
Né en 1958.
– 1993 : Inspecteur de la création artistique à la délégation aux Arts plastiques du ministère de la Culture.
– Depuis 1994 : Rédacteur en chef des Cahiers du Musée national d’art moderne.
– 2009 : Chef du Service de la Parole au Département du Développement Culturel du Centre Pompidou.
– Depuis 2015 : Conservateur au service des collections contemporaines du musée national d’Art moderne (Centre Pompidou).
– Historien de l’art et critique d’art, il a publié de nombreux textes sur l’art de la deuxième moitié du XXe siècle, il a organisé des expositions et dirigé divers ouvrages collectifs ou catalogues.
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OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
chmc4 (27 janvier 2025). Entretien avec avec Jean-Pierre Criqui. Politiques de la culture. Consulté le 26 mars 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/1362r