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Histoires d’ailleurs – Introduction par Barry Bergdoll – 7/12

Colloque « Écrire l’histoire de l’enseignement de l’architecture : quelles sources ? quels enjeux ? »
Cité de l’architecture et du patrimoine, 19 février 2016
Histoire : État des lieux (Conférences)

 

Histoires d’ailleurs
Introduction par Barry Bergdoll, Professor of Art History and Archaeology, Columbia University and curator in the Department of Architecture and Design at the Museum of Modern Art, New York

Je voudrais d’emblée remercier les organisateurs. Je ne vais pas tous les citer, car cela a déjà été fait. Je suis très content d’être là, surtout au début de cet événement majeur qui va se dérouler pendant quatre ans. Les mots qui viennent de nous être adressés par Jean-François Briand rejoignent mes réflexions sur le fait que très souvent, les recherches sur l’histoire des institutions ont lieu pendant les moments de ruptures, de transformations, de réflexions sur l’avenir. Dès lors, les histoires sur lesquelles nous avons à travailler sont souvent influencées par ces réflexions sur l’avenir. Ce qui fait que ce sont des outils de travail pour un historien, qu’il faut considérer avec soin et intelligence.

Je voudrais évoquer quelques thématiques, qui peuvent être intéressantes, concernant la localisation des outils de travail. Je ne vais pas dresser la bibliographie de l’histoire institutionnelle, qui est très inégale selon les pays. Mais nous avons le privilège cet après-midi, d’écouter deux historiens qui ont travaillé de façon plus transversale et synthétique. Et donc, l’enjeu pour ce projet, est de passer de l’étape des histoires institutionnelles, de leur liste, à la construction d’un paysage comparatif qui permette de mettre en relief les différentes institutions du champ architectural.

D’abord me viennent une série d’images qui évoquent cette relation privilégiée entre la France et son modèle de l’école des Beaux-Arts de Paris et les États-Unis, avec l’école d’architecture de l’Université de Harvard. Ce qui me permet d’introduire nos deux conférenciers de cet après-midi. Joan Ockman vient de publier un livre collectif très important sur les écoles d’architecture aux États-Unis. Klaus Jan Philipp a publié, lui, une étude sur l’histoire de l’éducation dans un livre absolument essentiel sur l’architecture, qui date de ses premiers travaux sur les origines mêmes de la culture académique de l’Allemagne. Ces différents travaux montrent bien que la question de la réforme des études en France et aussi présente ailleurs : c’est qu’on est partout dans un moment charnière et critique pour les archives qui changent de position et de statut.

Les projets de numérisation, se multiplient et donnent des hiérarchies. Et cette recherche arrive à un très bon moment parce que ce sont très souvent les archives de l’enseignement, les archives administratives qui sont les dernières à être prises en considération pour les travaux de numérisation. Le moment est donc propice pour ce travail qui devrait contribuer à inverser les hiérarchies.

Comme chercheur, je fais partie de la génération qui a suivi la fameuse exposition de 1975. Je voudrais tout simplement rappeler que cet événement est aussi très chargé en idéologie et qu’il se situait à un moment très précis qui ne concernait pas uniquement la suite des événements de 1968 à Paris, mais également un contexte new-yorkais très particulier, celui des années 70. Tout cela a produit un gros ouvrage qui existe également en traduction française. Mais il faut imaginer l’importance de la polémique autour de cette exposition lorsqu’elle a été montée au Musée d’Art Moderne, qui était plus ou moins le flagship du style international et de la soi-disant mythologie du modèle Bauhaus. Et c’est dans ce contexte américain de crise, de réflexion et de changement qu’on évoquait l’école des beaux-arts. Il y a un certain nombre de mythologies, de mythes, de légendes et de mauvaises compréhensions qui se sont mis en place lors de ces grands événements.

J’en profite pour lancer un appel : si quelqu’un retrouve dans les archives que nous allons étudier le texte, refusé, de l’introduction de Bruno Foucart à la présentation parisienne à l’exposition de 1975, je suis à sa recherche. Je pense que c’est une pièce essentielle de cet événement tellement extraordinaire et idéologique des années 75. Il faut dire que ces années de la fin 70 et début 80 ont été aussi un autre grand moment à la fois de crise, de réforme et de réflexion, mais aussi d’historiographie de l’éducation, accompagnées très souvent par les événements publics tels que les expositions. On peut même penser que les expositions sont par leur nature même plus polémiques que certains ouvrages, pour fêter l’anniversaire d’une institution. J’évoque tout simplement une exposition qui eut lieu quelques années avant l’exposition sur l’école des beaux-arts, l’exposition sur l’école de Cooper Union : «  Education of an Architect ». L’exposition de 1975 présentait, dans sa suite, une réflexion sur le rôle de l’enseignement pédagogique dans l’histoire de l’architecture mais aussi dans l’histoire des collections de dessins d’architecture.

Je voudrais évoquer un point, déjà abordé déjà par Jean-Louis Cohen : la recherche ne doit pas se limiter à étudier le rôle des grandes institutions officielles : État, régions ou de collectivités locales. Le 20ème siècle, beaucoup plus que le siècle précédent, était un siècle d’expérimentations, de petites écoles, de contre-écoles, de contre-modèles avec un paysage très complexe et très riche. Ce qui rend les archives encore plus difficiles à recenser car elles ne relèvent pas des administrations fédérales, nationales ou autres. Il faut rechercher d’autres contextes, en allant du Bauhaus à « l’institute for Architecture and Urban Studies » de New-York, très actif, et sorte de contre-école, d’ailleurs très liée au Musée d’Art Moderne. Cet institut américain tout à fait essentiel, fait l’objet de plusieurs livres mais il n’a pas encore d’ouvrages de synthèse.

De même, au début du siècle, en Allemagne, il y avait énormément d’écoles expérimentales. August Handel essayait de mettre en place une école d’architecture en faisant appel aux nouvelles sciences telles que la psychologie ou l’optique. Il faut absolument répertorier ces expérimentations si l’on veut connaître ce paysage complexe de l’enseignement de l’architecture pendant ces longues périodes.

Un dernier point : je pense que le modèle français, ou au moins le modèle de l’école des beaux-arts parisien a été beaucoup imité à l’étranger. C’est souvent le transfert des modèles, la tension générée par la compréhension de ces modèles qui renvoie un reflet vers les pays d’origine. Beaucoup de ces transferts, de ces influences, seront intéressants à étudier d’un point de vue très critique. Parce que très souvent, les histoires officielles embellissent les situations. C’est surtout le cas pour les anciens élèves américains de l’école des beaux-arts. Ils aimaient embellir les années parisiennes et je pense qu’ils ont construit un véritable monde de légendes et de mythologies.

Je voudrais préciser cet objectif d’étudier plusieurs types de transferts des modèles français. L’enseignement de l’architecture aux États-Unis, à la fin du XIXe siècle et au début du XXe, est le résultat d’un mélange très intéressant et très original de trois modèles. Le modèle d’apprentissage anglais est le modèle de la première moitié du XIXe siècle aux États-Unis. Il est suivi d’une histoire d’amour entre Paris et les Américains dans les années 1890 (sans oublier le modèle des écoles polytechniques allemandes). Il est intéressant de remarquer d’emblée, que le modèle parisien est transplanté dans une Amérique complètement différente et pas uniquement socialement, économiquement et politiquement. Prenons l’exemple de l’université dans laquelle j’enseigne à Columbia, qui s’est dotée d’une des premières écoles d’architecture dans les années 1880 ; le président de l’université a pris pour cela deux modèles issus de l’exposition universelle de 1893 à Chicago  : pour l’architecture, évidemment, c’est l’image de ce qu’on appelait déjà le style Beaux-arts, (ce qui est une invention américaine car personne ne parlait du style Beaux-arts en France), et il va aussi acheter l’ensemble de l’exposition sur l’éducation supérieure des Allemands, pour transformer le collège de Columbia en université. Donc, dès le départ, on trouve ce mélange du modèle de l’école d’architecture venu de France (située dans la tradition académique en dehors de l’université) avec le modèle de la recherche venu de l’université allemande. Si bien que le mélange américain est finalement très différent de son modèle français. C’est cette capacité américaine à mélanger les modèles, (et ceux qui, sur le vieux continent sont considérés comme des modèles contradictoires) qui se retrouve dans la première bibliothèque d’Ivry. On sent, bien entendu, l’influence de la bibliothèque de Dumont. Si vous connaissez la bibliothèque d’Ivry, aujourd’hui ce n’est pas le même espace. Le plafond mélange des personnages et des sources d’enseignement allemand, anglais et français y compris les figures comme Labrouste qui est placé à côté de Viollet-le-Duc. En Amérique, les ennemis peuvent se rencontrer pour produire de nouveaux mélanges et de nouveaux points de départ. Il est très important de comprendre comment cela produit finalement des différences importantes entre les systèmes américain et français. Ainsi avec ce passage du système des beaux-arts dans l’université américaine, le système des concours devient un système pédagogique complètement différent. Ainsi l’étudiant qui passe son diplôme en France n’est pas présent pendant la délibération du jury du concours qui n’est pas un acte pédagogique. Tandis que dans l’université américaine, le jugement du concours se passe en conversation avec l’étudiant qui va afficher son projet et sera présent pendant le débat, où il devra répondre aux questions et se soumettre à un entretien. Cela me rappelle l’enquête des français au début du XIXème siècle sur les prisons américaines. Tocqueville et d’autres ont noté que le système carcéral de Philadelphie donnait de très bons résultats. Mais il a oublié de noter que le personnel était choisi dans la Société des amis, les quakers de Philadelphie, qui allaient parler avec les prisonniers tous les jours. La prison n’était pas une machine à corriger. Il y avait un autre usage de ces espaces. En fait on ne peut évoquer le problème de cet échange de modèles, sans en élaborer une histoire critique. L’image que l’on peut avoir de beaucoup d’institutions est née des moments de critiques et de polémiques. Le phénomène de ce que nous appelons le Bauhaus aux États-Unis est basé sur une autre exposition polémique, datée de 1938, organisée par Gropuis, qui n’a jamais pu concrétiser sa conception de l’enseignement de l’architecture. Depuis cette date on parle du « modèle Bauhaus » qui était plus ou moins une chose inventée aux États-Unis, par Gropius et ses proches. Tout cela pour dire que même des outils de travail absolument essentiels comme le catalogue de l’exposition de1975 et le livre de Jean-Paul Gagnon, évoqués tout à l’heure, sont des outils de travail mais aussi des instruments pour propager des légendes.

Je vais terminer en évoquant d’autres géographies qu’il faudrait peut-être inviter dans ce projet d’état des lieux, d’état du paysage. Il ne faut pas uniquement regarder au nord mais aussi au sud, dans un sud qui est très compliqué au XXe siècle parce qu’il y a autant de rapports Nord-Sud qu’il y a de rapports Est-Ouest.

La création des écoles d’architecture en Amérique latine est un phénomène qui est également issu des rencontres entre transferts du modèle parisien, polémiques et échanges continuels. Je pense à Le Corbusier en Argentine. Mais aussi au Palais des Beaux-Arts à Santiago du Chili (où l’académie va calquer sa pédagogie sur le modèle de l’école des beaux-arts) qui est un bâtiment absolument extraordinaire. L’école des beaux-arts de Rio de Janeiro est la suite de l’académie de Grandjean de Montigny, au début du XIXe siècle, qui abrite de grands débats autour de 1930 sur le modèle des Beaux-Arts et sur le modèle du Bauhaus, avec le personnage de Lucio Costa. C’est exactement à ce moment-là que Frank Lloyd Wright tire avantage de ce conflit afin que son travail et sa présence dans la capitale brésilienne soient remarqués par la presse. En rentrant aux États-Unis, il met sur pied son propre projet d’école. Ce genre de liaison entre le modèle français et la naissance d’un projet de contre-école se développe dans un paysage transatlantique très complexe.

On pourrait terminer avec un des plus fidèles étudiants de l’école des beaux-arts, Carlos Raul Villanueva, à Caracas au Venezuela. Il fonde pas uniquement l’école (transformation de l’ancienne académie de San Carlos) mais il construit son bâtiment en mettant en avant les ateliers : on rentre dans l’école par les ateliers. La présence dans le modèle américain du nord et du sud, des ateliers comme centre de l’école, ne correspond pas du tout au modèle parisien où les ateliers sont, au XIXe siècle, chez les particuliers, et au XXe siècle, dans un bâtiment situé en dehors du bâtiment principal de l’école.

Un dernier exemple serait à étudier : celui de l’école d’architecture de Mexico, intégrée au projet du nouveau campus, dans l’université, et retirée de l’académie. J’en finis avec cette liste d’exemples qui n’a qu’un objectif : ouvrir des pistes pour le travail sur l’état des lieux des échanges internationaux.

Je vais donner maintenant la parole à ma collègue Joan Ockman qui est enseignante à l’université de Pennsylvanie. Elle a été longtemps professeur à l’université de Columbia où elle a dirigé pendant plusieurs années le « bio center for the study of American architecture ». Avant cela, elle a travaillé dans l’édition, elle était elle-même attachée à « l’institut for architecture in urban studies ». La longue liste de ses publications pourrait prendre tout le temps de sa conférence. Si elle est là aujourd’hui c’est qu’elle a publié l’année dernière un ouvrage majeur sur l’histoire de l’enseignement de l’architecture aux États-Unis.

 

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OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
chmc1 (30 mai 2016). Histoires d’ailleurs – Introduction par Barry Bergdoll – 7/12. Politiques de la culture. Consulté le 22 mai 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/mrdd


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