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La création de la recherche architecturale à l’École d’Architecture de Marseille

Par Paul Quintrand
Architecte DPLG, membre de l’académie d’architecture

J’aurais eu un grand plaisir à me trouver dans cette École d’Architecture de Marseille avec de vieux amis compagnons de parcours sur les chemins périlleux que nous avons suivi ensemble et qui nous amènent aujourd’hui dans cette journée sur l’histoire de l’enseignement de l’Architecture. Malheureusement ma santé ne me permet pas de me rendre à Marseille aujourd’hui pour y retrouvez ce compagnon de route que fut Claude Prelorenzo militant pour la cause de la recherche architecturale et présent à Marseille comme à Paris dans ce long combat pour la structuration de la recherche architecturale.
Beaucoup d’autres présents aujourd’hui ont contribué à ce grand projet commun mais aussi des absents disparus dont je dois évoquer la mémoire avec une certaine émotion : Jean-Charles Nasica, Mario Borillo, fondateurs du GAMSAU à la première heure, Bernard Domenech, Jean-Charles lebahar, Michel Berthelot, Sylvaine Filimon et plus récemment la perte prématurée de Stèphane Hanrot. Mes pensées vont vers eux. Et aussi mes anciens élèves. Je suis donc très sensible à l’invitation de Jean-Lucien Bonillo qui fut et est encore un acteur majeur dans la construction de cette histoire utile pour ce travail de mémoire sur l’histoire de notre profession et de son enseignement.
J’obéirai donc à la commande de vous évoquer mes souvenirs, mes engagements depuis cette période de crise et de questionnements des années 60 qui allait faire émerger la recherche architecturale et l’amorce d’une révision de l’enseignement de l’architecture, toujours en question aujourd’hui.
C’est donc un exercice autobiographique auquel je vais me livrer, avec tous les risques qu’il comporte de par la subjectivité du récit et le caractère du discours du vieux combattant que je suis, vous me pardonnerez je l’espère. Discours aussi déjà fait lors de l’invitation de ce très cher Stephane Hanrot en 2009.
Mais je voudrais souligner que ces récits, témoignages devrait inviter nos jeunes chercheurs à entreprendre un véritable travail historique en profondeur sur le sujet, construit sur une approche critique et de confrontation des sources avant qu’elles ne disparaissent.
Après avoir évoqué le contexte ce ces années 60, période de crise et de vide théorique que nous laissait l’enseignement des beaux-arts moribond, je me livrerai donc à un récit qui soulignera quelques-uns des faits marquants, qui ont conduit le professionnel que j’étais à l’enseignant au chercheur et au militant de toutes les heures.
Il ne s’agira que d’une évocation très partielle d’un premier épisode de l’histoire qui devrait décrire le long chemin qu’il a fallu parcourir dans ce mouvement collectif des défricheurs qui allaient contribuer à la construction d’un cadre intellectuel et institutionnel permettant l’émergence d’une recherche architecturale.
Ce qu’il faut retenir, c’est que La recherche à Marseille trouve son origine et les conditions de son développement hors de l’institution.

Les origines :

  • L’Université Permanente d’Architecture et d’Urbanisme (1965_1968)
  • Les Ateliers d’été à Aix en Provence (1965, 1966,1967)
  • L’étude du caractère méditerranéen de l’habitat en Provence (OREAM- GAMU) 1967-1968
  • Le voyage d’étude aux USA et en Angleterre mission DGRST 1968_1969
  • Les questionnements personnels de PQ sur l’avenir de la profession et les conditions de son exercice
  • La présence de PQ à la commission Querrien concernant la réforme de l’enseignement de l’architecture
  • La lettre d’embauche de Max Querrien en 1967 (Ayant conduit PQ à embaucher à la rentrée 67: deux socio, deux géographes, un mathématicien, un informaticien)
  • L’École d’Architecture de Marseille Luminy a 51 ans

Son développement :

  • La fondation les espoirs de 68, le rapport Lichnerovitch, l’action de Jean-Paul l’esterlin (Commission des doctorats)
  • Les années difficiles « le mépris » Contre la recherche institutionnelle
  • Les soutiens : la DGRST (circulaire Creyssel, le soutient du plan construction.)
  • Le Grand espoir 1981 :
  • Les assises nationales de la recherche
  • A Marseille le colloque « architecture et habitat » (1981)
  • Rencontre, recherche ARCHITECTURE, pour un bilan international, École de Marseille 12,13,14 juin 1984
  • Un Directeur de l’architecture bienveillant, Jean-Pierre DUPORT
  • Le CCRA
  • La commission CNRS AUS, les URAs

Les années 60

Nous sommes dans une économie qui fonctionne à plein régime, il faut loger les travailleurs, tous les actifs qui construisent l’enrichissement de la France.
Les architectes peu nombreux, au regard de la demande sociale, étaient alors sollicités dans une pratique de l’urgence, face à des problèmes nouveaux qualitatifs et quantitatifs, en l’absence de toute planification urbaine et dans un vide théorique total, hormis la leçon doctrinale de la charte d’Athènes. Il fallait construire vite et pas cher là où l’on trouvait un terrain disponible offert par les spéculateurs fonciers. L’urbanisme se faisait après. Jeunes architectes nous étions, issus de l’ENSBA moribonde, les efforts d’un Max Querrien n’arrêteront pas le désastre. Insatisfait des conditions et de la nature des productions architecturales, nous étions amenés à nous poser quelques questions, à rechercher des nourritures intellectuelles nouvelles et à engager une réflexion collective. La création des Universités Permanentes d’Architecture et d’Urbanisme en Rhône Alpes et Provence cote d’azur des 1965 en était le signe. (1)
Ouverte sur l’extérieur l’UPAU Provence Alpes Côte d’Azur Languedoc Roussillon que j’animais avec les complicité de Roger Dabat, Dunoyer de Segonzac, Gibert Bonnardel , André Liotard, Jaques Chirié pour n’en citer que quelques un organisait rencontres et séminaires dans l’abbaye de Saint Maximin ou  des apports nouveaux allaient faire naître un regard critique sur nos productions concernant le social, la ville, le développement urbain et l’utilisation des sols, l’environnement, la maîtrise du processus de production.
Un débat permanent s’installait entre architectes, maîtres d’ouvrages, élus, représentants de l’administration (DDE) avec les apports de Georges GRANAI sociologue urbain, LIVET et DUGRAND géographes, Georges DUBY. SCHIMMERLING fondateur du Carré Bleu nous apportait les leçons de Patrick GEDDES,
Nous commentions les lectures anglo-saxonnes de Geoffroy Broadbent et Alexander.
Les ateliers d’été en 65, 66, 67 à Aix en Provence et Saint Maximin réunissaient des dizaines d’étudiants venus de Paris principalement grâce à l’engagement efficace de Pierre Clément. (Qui deviendra plus tard chercheur à l’institut de l’environnement puis à l’IFA puis Directeur de l’IPRAUSS après la disparition de Bernard HUET)
Les questions que nous nous posions à l’UPAU allaient alimenter notre pratique et favoriser en ce qui me concerne mes orientations professionnelles au cours des années 65 à 70. Les actions de l’UPAU étaient remarquées par Florence Contenay et Max QUERRIEN alors directeur de l’architecture qui m’invita à participer à la commission de réforme de l’enseignement de l’architecture en 66 et 67. Allait s’ouvrir alors à la rentrée 67 la première école Nationale d’Architecture en région, voulu par Malraux à Marseille LUMINY.
Max QUERRIEN me demandait d’accepter un poste d’enseignant et de contribuer à faire le programme d’enseignement de cette nouvelle école, conforme à mes idées. (Pluridisciplinarité, ouverture vers l’université).

Dans ce contexte deux actions principales allaient être la source de mes orientations futures :
L’étude du « caractère méditerranéen de l’habitat en Provence » GAMU
La mission DGRST informatique et architecture CIAB GAMSAU
Suivi par la création du GAMSAU en 1969

Le caractère méditerranéen de l’habitat en Provence

Il s’agit d’une étude commandée par l’OREAM au GAMU (groupement des ateliers méditerranéens d’urbanisme, fondés par l’UPAU).

Pouvons-nous emboîter le pas à d’autres régions où l’aménagement se confond avec la croissance ? Où toute la réflexion est inspirée par la volonté de remonter les courbes statistiques régionales dans une démarche dont les prémisses sont purement socio-économiques ? Où la régionalisation est très vite tenue, non pour une recherche des valeurs humaines, mais comme un moyen d’exalter les grands secteurs de l’économie nationale ?

En commandant cette enquête l’OREAM dévoile la conscience qu’elle s’est forgée de la complexité de cet environnement méditerranéen et de l’importance des valeurs qui lui sont attachées.
Cette commande nécessita un énorme travail collectif et pluridisciplinaire pour la 1ere phase d’enquête. L’étude s’est attachée à décrire de façon systématique l’habitat provençal dans ses dimensions historiques, géographiques, morphologiques. A l’issue de cette première phase consistant à la collecte de l’information, nous nous sommes trouvés face à une masse imposante de données qu’il fallait trier ordonner et exploiter en vue de parvenir à des propositions normatives. J’en réalise avec Roger DABAT et Jacques CHIRIE l’analyse et la synthèse avec l’aide méthodologique de Maurice GARDIN et Mario BORILLO du CNRS.
Nous étions confrontés à un double problème :

  • Collecter et traiter une masse d’information très importante, afin de maîtriser la complexité du problème.
  • Rendre explicite la justification de nos conclusions, de manière à rendre communicable et sujette à des remises en question nos propositions.

Rechercher les caractéristiques d’un habitat méditerranéen consistait donc :

  • A rassembler et à analyser les informations utiles à la création de cet habitat.
  • A dégager en termes objectifs les caractéristiques du milieu dans lequel il sera édifié.
  • Expliciter les choix devant conduire aux solutions proposées afin de permettre la critique et la participation à tous les niveaux.

C’est à dire exposer l’ensemble des opérations qui sous-tendent la construction du raisonnement. On reconnaît là les prémisses de toute démarche scientifique, impliquant des exigences de communication effectives et l’utilisation des méthodes d’analyses. Il s’agissait d’isoler les régularités déterminantes des caractéristiques de l’habitat (les forces qui produisent les formes « Alexander »).
Le résultat de cet effort d’analyse est l’élaboration d’un système de termes dans lequel chaque élément à un contenu sémantique (langage scientifique). Construire donc un véritable raisonnement sur l’ensemble des propositions. L’idée était de construire à terme des opérations formelles de calcul logico mathématique justiciable de l’usage d’un ordinateur.
15 ans plus tard, dans les années 80, au GAMSAU nous avons pu construire des réseaux sémantiques pour réaliser une base de connaissance exploitable grâce aux formalismes de Minsky et aux langages objet (projet Tecton, Remus). Cette étude sur le caractère méditerranéen de l’habitat en Provence fera aussi émerger de nombreuses questions environnementales, écologique, bioclimatiques et conduira à des applications concrètes et à la création du groupe ABC par Roger Dabat.

La mission DGRST CIAB (2)

Avec quelques amis de l’UPAU nous avions créé le CIAB « Centre informatique et automatique des bâtisseurs ». Unité de service pour quelques agences d’architecture de Marseille et de la région les plus importantes où étaient développées ce que nous appelions les automaticités c’est à dire la normalisation d’activités et production de documents donnant lieu aux premières applications informatiques pour la gestion de nos agences. En 1967 avec Gérard POUX qui assurait la direction du CIAB nous proposons à la DGRST un projet de recherche pour la constitution d’un outil informatique de gestion des données architecturales fondée sur nos travaux antérieurs et notamment la « méthode systématique pour la programmation et la description des ouvrages » (4).
En réponse la DGRST estimant cette étude prématurée nous demande alors de faire un état de l’art mondial sur l’utilisation de l’informatique en architecture et bâtiment. L’étude se fera avec Mario BORILLO du CNRS qui avait participé à l’élaboration de la méthode d’analyse du « caractère méditerranéen ». Ce contrat nous conduisit notamment en Angleterre et aux États-Unis ou avons fait des rencontres instructives et déterminantes :

En Angleterre:

  • Lionel March au “land use and built form studies” à Cambridge
  • Les Architectes du West Sussex County concil à Chichester : B Peters et John Paterson qui développaient alors un système informatique pour la construction des écoles avec le système SCOLA “Scola coordinated system”
  • Au RIBA J. Chalmers CEDAR RIBA J.BROADBENT à Portsmouth

Aux États-Unis :

  • C.ALEXANDER et A. BERNOLTZ à BERKLEY
  • Et surtout Nicolas NEGROPONTE qui venait de réaliser URBAN 5

Nicolas Negroponte deviendra un ami et contribuera par deux visites faites à Marseille à la création du GAMSAU.

A l’issue de cette mission nous étions convaincus de la nécessité de créer une structure de recherche. Avec Mario Borillo nous ramenions d’Amérique près de 50 KG de papiers articles, notes livres constituant la première bibliothèque du Gamsau, au retour de Chichester nous écrivions le texte fondateur du Gamsau ? S’en suivirent à Marseille la création du groupe ABC avec Roger DABAT puis l’équipe ESPACE SOCIETE qui deviendra INAMA avec Hayot Prelorenzo et plus tard Bonillo. Puis la rencontre avec JP Peneau et la création du CERMA à Nantes et puis bien d’autres à Paris Versailles Nancy. Nous nous engagions dans une grande aventure semée d’embûches pour obtenir reconnaissance, légitimité, moyens matériels et humains, statuts etc.

 

Repères

1- Les années 70 à 81 que je qualifierai comme le temps du mépris.
Malgré la création du CORDA nous attribuant quelques moyens sous forme contractuelle puis sa suppression  en 79, la reconnaissance des formations de recherches dans les établissements fut très laborieuses (Je me souviens d’un Président du conseil d’administration de l’école de Marseille qui qualifié la recherche de « folklore », d’un chargé de mission du ministère me disant que j’allais « Ossifier la recherche par mes actions pour l’institutionnalisation et la reconnaissance du métier de chercheur »).
2Après 81 : Le changement, faisant suite aux Assises Nationales de la Recherche voulues par François Mitterrand.
La structuration de la recherche architecturale sous l’impulsion de Jean-Pierre DUPORT directeur de l’Architecture : La création du comité consultatif de la recherche architecturale et la reconnaissance des laboratoires dotés de moyens. La création de la commission transversale AUS « architecture, urbanistique et société » permettant à des laboratoires de la recherche architecturale d’être associés au CNRS. Accès aux formations doctorales de l’université.
3Les années 90 : La titularisation et le statut d’enseignant chercheur.
4Les années 2000 : La reforme LMD, les ENSA.

Reste en question le statut disciplinaire de l’Architecture.

Architecti est scientia pluribus disciplinis et variis eruditionibus ornata. Vitruve

 

 

Sources :
Revue Prado : « l’Université Permanente d’Architecture et d’Urbanisme »
Les travaux d’Eléonore Marantz. Exposition « 68 »
Le caractère méditerranéen de l’habitat en Provence GAMU (chapitre conclusions)
Déclaration d’intention de création d’une unité de recherche, Mario Borillo, Paul Quintrand, Février 1969
L’informatique dans la conception de l’aménagement CIAB/GAMSAU/DGRST 1969
Collection « Gamsau Bulletin » archives GAMSAU
Acte du colloque « architecture et habitat » assises nationales de la recherche 1981 Marseille
Lettre « Au temps du mépris … » adressée par PQ à JP Duport 1981
Petit livre Bleu à l’occasion des rencontres recherche « Pour un bilan international 1984 »
Rapports d’activités GAMSAU URA CNRS
Thèse Morandi Ensa Versailles
Archives SNESUP Marseille
Archives CCRA
Archives « Comité Directeurs de labos »
Archives « CA de Marseille »

 

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OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
chmc2 (27 mai 2019). La création de la recherche architecturale à l’École d’Architecture de Marseille. Politiques de la culture. Consulté le 28 avril 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/mrkx