10 août 1981 : la loi sur le prix fixe du livre est promulguée
À l’occasion du 60e anniversaire du ministère, le Comité d’histoire publie, tout au long de cette année 2019, une série de contributions de chercheurs et d’acteurs de la culture autour d’une date librement choisie dans la période comprise entre 1959 et 2018.
Si vous souhaitez participez à cette démarche, vous pouvez nous contacter à l’adresse suivante : comitehistoire@culture.gouv.fr
par Laurent Martin,
Professeur d’histoire à l’université de Paris 3 Sorbonne-Nouvelle
Il s’agit de la première loi proposée par le ministère Lang et l’une des premières à être votée par la nouvelle majorité socialo-communiste à peine installée sur les bancs parlementaires à la suite de l’élection de François Mitterrand à la présidence de la République, en mai, et de la large victoire de la gauche aux élections législatives de juin 1981. Loi d’ « écologie culturelle » comme la nomma par la suite le ministre, elle fut un peu une loi de circonstance, l’entourage du ministre pensant au départ se contenter d’un simple arrêté. Mais une loi s’avéra nécessaire et Jack Lang et son équipe lancèrent très rapidement son chantier. Un projet de loi est discuté en Conseil des ministres le 23 juillet, déposé au Sénat puis à l’Assemblée nationale (contrairement aux usages, ce qui dénote là encore l’inexpérience du nouveau pouvoir en matière de procédure parlementaire) et la loi est votée à la quasi-unanimité après trois jours de débat, du 29 au 31 juillet. La loi est promulguée le 10 août mais n’entrera en vigueur qu’au 1er janvier 1982 pour laisser le temps aux professionnels du secteur de l’édition et de la distribution de livres de s’y préparer.
Cette loi ne vient pas de nulle part. Depuis plusieurs années déjà, un débat opposait partisans et adversaires d’un prix fixe du livre. Tout commence au début des années 1970. Le ralentissement de la croissance, le mouvement de concentration dans le secteur de l’édition, l’apparition des grandes surfaces spécialisées et généralistes menacent les grands équilibres entre édition et distribution. Jérôme Lindon, patron des éditions de Minuit, lance l’idée d’un prix fixe du livre pour empêcher les rabais jugés excessifs pratiqués par la grande distribution. Il rallie à sa cause le grand amateur de littérature qu’est François Mitterrand ; le Parti socialiste se prononce en faveur du prix fixe en juin 1979 et Mitterrand en fait la 100e proposition de son programme rendu public au début de l’année 1981. Pour les socialistes, le symbole est fort. Le livre et la lecture sont considérés comme des éléments clefs de la culture française et d’une politique marquée à gauche. Ce combat culturel permet au PS de sceller son alliance avec les professions intellectuelles, même si celles-ci sont plus partagées qu’il n’y paraît – grandes consommatrices de livres, elles ont intérêt à les acheter aux tarifs consentis par les grandes surfaces, en particulier la FNAC qui est l’une de leurs enseignes favorites depuis qu’elle pratique des rabais allant jusqu’à 30 % par rapport au prix éditeur. Avec la loi sur le prix fixe (dit aussi « prix unique ») du livre, aucun libraire ne peut plus vendre un livre neuf produit en France très en dessous du prix fixé par l’éditeur (seule une remise de 5 % est autorisée). Plus que le pouvoir d’achat du consommateur, c’est la survie du réseau de libraires indépendants et d’une édition de création qui est considérée comme prioritaire par le gouvernement. « Au centre de ce débat, déclare Jack Lang le 29 juillet devant le Sénat, c’est l’avenir de la création littéraire en France qui est en cause. Au fond, nous devons à chaque moment nous poser la question suivante : quelles chances notre pays, quelles chances notre législation, quelles chances notre organisation sociale donnent-ils à un nouveau Balzac, à un nouveau Rimbaud, à un nouveau Proust, à de nouveaux auteurs ? ». C’est donc la question de la création qui est centrale pour le ministre et ses conseillers, dont le raisonnement est la suivant : la prédilection des grandes surfaces (la FNAC exceptée, à l’époque) pour les livres à succès, à débit massif et rotation rapide, risque de conduire les éditeurs à privilégier ceux-ci au détriment des livres de fond ; les petits libraires qui ne peuvent consentir aux marges pratiquées par la grande distribution vont disparaître et avec eux ces livres exigeants qu’ils ont à cœur de diffuser, même si cela s’avère plus difficile et prend plus de temps.
Ceux qui félicitent Jack Lang au soir du vote ne s’y trompent pas : outre Jérôme Lindon et des personnalités du monde de l’édition, on trouve l’Union syndicale des libraires de France et la Fédération française des syndicats de libraires. Au contraire, les organisations de consommateurs protestent contre une loi qui, disent-elles, risque de renchérir le prix du livre. Mais ce sont surtout les grandes surfaces qui dénoncent l’ « interventionnisme » de l’État et une politique qui, selon leurs porte-paroles, entretient l’ « archaïsme » de la distribution. Devant la mauvaise volonté des grandes surfaces, qui s’apparente parfois à de la provocation – avec, par exemple, l’affichage de deux prix, le « prix Lang » et le prix pratiqué par l’enseigne -, le ministère obtient, non sans mal, au début de l’année 1982, l’instauration de sanctions pénales en cas d’infraction à la loi. La querelle prendra ensuite une dimension européenne, l’affaire étant portée devant la Cour de justice des Communautés européennes à Luxembourg qui, au terme d’une longue procédure, finira par déclarer – en 1985 – que la loi Lang ne contrevient pas aux principes de libre circulation et de libre concurrence posés par le traité de Rome. La loi ne sera pas remise en cause et demeure, aujourd’hui encore, l’un des piliers du droit français en matière culturelle, même si son application est rendue délicate par la mondialisation du marché du livre à l’ère numérique. Son vote puis sa promulgation restent en tout cas des événements qui ont marqué l’histoire des années Lang.
OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
chmc2 (10 août 2019). 10 août 1981 : la loi sur le prix fixe du livre est promulguée. Politiques de la culture. Consulté le 23 mai 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/mrln